L’arbre à souhaits

J’avais envie de compléter l’article que j’ai écrit, intitulé « Arbres, je vous rends hommage ». La nature et les arbres en particulier nous offrent tellement.

En cet été 2022, nous avons tous vu les images terribles de nos forêts partant en fumée ainsi que celles de la forêt Amazonienne dévorée par la cupidité humaine. Devant l’immensité de mon impuissance, je n’ai pu faire que des souhaits : pour les hommes du feu, pour la faune qui a subi de plein fouet ces ravages, pour que la terre puisse s’en remettre et bien sûr pour les arbres. Faire des souhaits, pour que nous sortions enfin de la torpeur et que nous réalisions, vraiment, que la planète est en surchauffe.

Faire des souhaits dans ce contexte peut paraître bien dérisoire. D’autant que l’on a tous en tête des recettes : de croiser les doigts pour que le vœu s’accomplisse, de faire un souhait lorsqu’une étoile filante passe ou lorsque l’on trouve un trèfle à quatre feuilles. Qui n’a pas fait des vœux au nouvel an ? Cela peut paraître bien suranné dans notre société matérialiste.

Pourtant, de l’autre côté de la terre, cette tradition existe et perdure.

En Inde, il existe un arbre appelé Kalpavriksha (ou Kalpataru, kalpadruma, kalpapadapa), surnommé « l’arbre à souhaits ». Il est l’arbre sacré éternellement vert dont les fleurs parfument le monde. Il apparaît du barattage de la mer de lait, l’un des mythes cosmologiques de l’Inde, dont voici une partie du récit.

Au début des temps, les dieux et les démons étaient en lutte pour la maîtrise du monde. Les dieux résidaient alors sur le Mont Mandara au centre de l’univers. Les asuras ou démons semaient perturbations et désordres dans le monde. Enfoui dans les profondeurs de l’Océan de lait, se trouvait le nectar d’immortalité, l’amrita. Vishnu conseilla aux dieux pour consolider leur pouvoir de baratter l’océan afin d’obtenir la liqueur. Il leur conseilla également de s’allier aux Asuras pour y arriver car ceux-ci convoitaient aussi cet élixir. Comme l’océan primordial était un océan de lait, pour récupérer l’amrita il suffisait donc de transformer le lait en beurre. Les deux camps décidèrent d’enrouler le grand serpent Vasuki autour du Mont Mandara. Les dieux prirent en main une des extrémités du serpent et les démons l’autre. En tirant alternativement vers eux les extrémités du corps du serpent, ils firent bientôt pivoter l’axe du monde. Le sol étant encore instable, il était toutefois impossible de baratter l’océan. Visnu prit la forme d’une tortue et descendit au fond de l’océan pour servir de support à la montagne. Ce labeur dura mille ans, finalement, apparurent à la surface tous les trésors : la liqueur d’immortalité, le dieu médecin, Lakshmi la femme de Vishnu : déesse de la beauté et de la fortune, la conque dans laquelle souffle Vishnu pour assembler les dieux, le joyau magique, la vache d’abondance, le cheval divin et l’éléphant blanc, etc. Et, également l’arbre Kalpavriksha qui dure éternellement et sous l’ombre duquel le ministre des dieux, Indra, se plaît beaucoup : arbre qui exauce les désirs…

Pour la petite histoire les asuras s’emparèrent de la coupe d’immortalité avant les dieux, Vishnu voyant cela, pris la forme de la plus belle femme au monde, les asuras furent subjugués, Vishnu leur arracha la coupe pour la donner aux dieux qui devinrent immortels.

Actuellement dans beaucoup de villages, « l’arbre qui exauce les souhaits » n’appartient pas à une espèce précise. Il est souvent l’arbre le plus ancien du village. On vient lui confier ses demandes, ses désirs, ses aspirations voire ses ambitions. C’est une façon de s’en remettre à l’invisible ou à plus grand que soi.

Cette tradition s’est transposée dans le bouddhisme en « arbre du refuge ». En fonction des courants, sa fonction est de représenter la lignée de transmission par laquelle l’enseignement est arrivé jusqu’au pratiquant. Celui-ci peut ainsi le visualiser sous la forme d’une thangka*.

Au sein du yoga, il existe aussi une pratique qui s’apparente à la formulation de souhaits. Elle consiste à énoncer une phrase positive, appelée samkalpa lors du yoga nidra*.

Le terme sanskrit « samkalpa » vient de « sam » et fait référence à un état de complétude et « kalpa » est issu du verbe klip qui veut dire prendre une décision, obtenir, réussir. Il s’agit donc d’une intention positive, d’un désir profond énoncé sous forme d’une phrase assez brève. Le samkalpa a été développé par Swami Satyananda Saraswati (1923-2009). Il préconise que cette formule soit prononcée en début et en fin de Yoga nidra, dans les moments de passage entre conscient et subconscient, ainsi que le soir en s’endormant et le matin en se réveillant. Le yoga nidra est une forme de rêve lucide qui permet d’élargir sa conscience et de développer ses potentialités grâce à la plasticité de notre cerveau. Le samkalpa est une manière d’orienter son esprit vers ce que l’on souhaite.

Comment procéder ? Il est nécessaire d’identifier ce que l’on souhaite vraiment, puis de l’énoncer de manière positive en termes clairs et concis. Par exemple, dire : « je souhaite ne plus douter des autres » est une formulation négative que l’on transformera positivement en « je souhaite avoir confiance en les autres ». Au moment de prononcer cette phrase, il faudra le faire avec sincérité et confiance, d’où l’importance du choix de ce que l’on souhaite ! Il faut remarquer que le terme de Yoga nidra est généralement traduit en Occident par relaxation, ce qui est très restrictif. Cette récupération occidentale l’a malheureusement transformé en technique pour « bien dormir » ou se détendre, alors que le nidra permet d’élargir sa conscience et qu’il peut être un pont vers l’éveil.

Alors faut-il faire des souhaits ?

Si pratiquer un samkalpa est un moyen de reconfigurer notre cerveau vers ce qui nous apporte plus d’énergie, plus d’inspiration, plus de paix, de joie, et même souhaiter s’éveiller, alors pourquoi ne pas essayer ?

Si déposer au pied d’un arbre ses aspirations est une façon d’élargir son petit personnage, sortir de l’égoïsme, alors pourquoi ne pas essayer ?

Je lance les souhaits dans l’infini de l’espace :

Puissions-nous nous rendre compte de l’interdépendance que nous avons avec notre environnement.

Puissions-nous offrir aux générations futures une planète où il fera bon vivre.

Annie

 

*Thangka : motif religieux bouddhiste peint sur une pièce de tissu.

* Le terme sanskrit de « nidra » désigne un état de conscience mi-endormi, mi-éveillé. Il correspond à l’état nommé Narayana. Cet état est symbolisé par Vishnu reposant sur le serpent Sesa et sommeillant sur les eaux primordiales entre deux ères. Vishnu endormi : tiens ! Encore Vishnu !