Les gunas

Les gunas sont au nombre de trois. Ce terme sanskrit se traduit de différentes manières et désigne les tendances de l’énergie qui déterminent les qualités et le fonctionnement de la matière. Le sens premier de guna est « corde, lien » mais il signifie aussi « propriété, qualité, voire mérite ». Les gunas influencent tout ce qui existe dans l’Univers, dont notre corps ; ils colorent notre vie et par conséquent notre pratique de yoga.

On peut se demander ce qui est relié par cette corde ou ce lien, et de quelles qualités il est question. Le découvrir nécessite un détour par la philosophie hindoue.

On trouve la notion de guna dans la tradition du Sāṃkhya (l’une des six écoles philosophiques indiennes), codifiée dans le Samkya karika* 4e ou 5e S av EC, ainsi que dans la Bhagavad Gita* entre 2e et 3e S av EC.

Contexte philosophique : Guna et Samkya

Le courant philosophique du Sāṃkhya est une analyse rationnelle et dualiste de la réalité. Dualiste car il préconise deux réalités ultimes que sont Purusha – l’esprit, et Prakriti – la matière. De cette compréhension du fonctionnement du monde surgit la libération du cycle des renaissances (samsara).

Le Puruṣha, pure conscience, est un principe masculin et la Prakriti, l’énergie universelle, est un principe féminin. A un moment donné, Purusha a eu le « désir » d’expérimenter l’Univers et il s’est ainsi rapproché de Prakriti, seule capable de réaliser la manifestation dans la matière. C’est ainsi, selon le Samkhya, que la manifestation s’est exprimée. De cette rencontre, tous les éléments qui composent l’Univers ont vu le jour.

Prakriti – la matière, est constituée de trois gunas ou qualités, à savoir « tamas, rajas et sattva ». Lorsque Prakriti est non manifestée, elle est faite en parties égales de Sattva (perfection, bonheur), de rajas (lumière, action) et de tamas (obscurité). C’est l’équilibre parfait des trois gunas. Seule, Prakriti ne peut se manifester. Les trois états ne se révèlent que lorsqu’il y a rencontre entre Purusha et Prakriti.

« Manifesté et non manifesté sont constitués par les trois Gunas, non séparables des trois Gunas, objets de l’expérience, communs à tous les êtres, non conscients, de nature à produire. Purusa est à la fois contraire à eux (manifesté et non manifesté) et semblable à eux. » Samkhya Karika

En paraphrasant le Samkhya Karika, on peut donc dire que ces qualités de l’énergie sont à l’origine de toute chose matérielle ou non, manifestée ou non. Les gunas sont toujours en évolution c’est ce qui donne le caractère dynamique de Prakriti. Les gunas  influencent la matière, donc notre corps, mais également ce qui est immatériel : nos pensées, nos émotions. L’objectif commun du Yoga et du Samkhya est la recherche de la libération du cycle des existences. La démarche pour mettre en équilibre ces trois tendances prend donc toute sa dimension. Voir l’article sur le Samkhya.

Les gunas influencent la matière, donc notre corps, mais également ce qui est immatériel : nos pensées, nos émotions. L’objectif commun du Yoga et du Samkhya est la recherche de la libération du cycle des existences. La démarche pour mettre en équilibre ces trois tendances prend donc toute sa dimension.

Les caractéristiques : Guna et Bhagavad

C’est la Bhagavad Gita* qui donne une explication plus détaillée des qualités de ces trois gunas. Arjuna, le grand guerrier du clan des Pandava, est sur son char de guerre, sur le champ de bataille en proie à un dilemme : doit-il accomplir « son devoir », c’est à dire combattre, mais risquer en même temps de tuer des membres de sa famille ? Ou doit-il renoncer à se battre et subir le déshonneur en conduisant son peuple à la défaite ? Un dialogue va s’installer entre Arjuna et son cocher Krisna. Krisna va instruire Arjuna sur un grand nombre de sujets, avant de lui révéler à la fin du dialogue son identité : le cocher est un avatar du dieu Vishnou.

 

C’est dans le chapitre 14 de la Bhagavad Gita que nous avons une explication des qualités des gunas.

« 14-5. Sattva, raja, tamas : telles sont les qualités issues de la nature naturante ; ce sont elles qui enchaînent au corps l’immuable incorporé.

14-6. Parmi elle le sattva, en raison de son caractère immaculé, est lumineux et exempt de mal. C’est par l’attachement au plaisir qu’il enchaîne et par l’attachement à la connaissance, ô héros sans tache !

14-7. Sache que le rajas est l’essence de la passion qu’il est la source de la concupiscence et de l’attachement ; il enchaîne l’incorporé par l’attachement à l’action, ô fils de Kuntî !

14-8. Quant au tamas, sache qu’il nait de l’ignorance, et qu’il égare tous les êtres incarnés. Il enchaîne, ô Bhâratide, par l’erreur, la paresse, la torpeur.

14-9. Le sattva attache au plaisir, le rajas à l’acte, ô Bhâratide ; quant au tamas, en vérité obnubilant la connaissance, il attache à l’erreur.

14-10. C’est en dominant le rajas et le tamas que le sattva prévaut, c’est ce que fait le rajas en dominant sattva et tamas et, pareillement, le tamas, quand il domine sattva et rajas.

14-11. Lorsque, dans ce corps, la lumière-connaissance se produit à toutes les portes [des sens], on doit savoir, en vérité que le sattva a crû. »

                                                                                          Bhagavad Gita, traduction Anne-Marie Esnoul

Il y a des forces dans l’univers qui magnétisent la matière vers des aspects plus sereins, plus lumineux et d’autres plus obscurs, plus denses. Notre conscience tend à être attirée par l’un des trois niveaux. On les peut résumer ainsi :

  • Sattva est lumière et joie, conscience, sa localisation est dans le cakra du cœur sa couleur est le blanc.
  • Rajas est action, la force du désir, sa localisation est le centre du ventre, sa couleur est le rouge.
  • Tamas est la stabilité, lourdeur jusqu’à l’inertie, sa localisation est le centre racine, sa couleur est noire.

 Les Gunas dans notre pratique de yoga

Le Samkhya donne une analyse des essences fondamentales, des phénomènes intérieurs et extérieurs dont l’homme peut faire l’expérience au cours de sa vie.

Le yoga nous donne accès à une expérience de connaissance, ou de conscience du corps-esprit, vécue instant après instant.

L’observation fine, sans jugement ni attente de ce qui se passe en soi, nous donne un éclairage des tendances qui se déploient dans « le maintenant ». L’extrapolation de cette observation intérieure nous indique les façons que nous avons de réagir aux situations qui se présentent à nous dans le monde extérieur.

Les gunas font le jeu de la création. Les observer par la pratique, faire l’expérience du déploiement de ces colorations énergétiques qui s’entremêlent sans cesse, observer leur action réciproque, est une manière de vivre EN yoga, ou dit d’une autre manière d’être Présence au cœur de la Vie.

Ouverture

Cette notion de qualité de la matière est très présente dans l’hindouisme et l’est aussi dans la médecine traditionnelle indienne de l’ayurvéda. Elle est présente également dans le bouddhisme et le jaïnisme. Bien évidemment, selon le courant philosophique les définitions en sont différentes. L’étude et la pratique sont deux aspects importants dans le yoga, vous pouvez aller lire les propositions de pratiques par rapport aux vayus, et aux gunas.

Namasté, Annie.

*La Bhagavad Gita que l’on traduit par le « chant du Bienheureux » est la partie centrale de l’immense épopée du Mahabharata. C’est un texte fondamental de la pensée indienne, considéré comme un abrégé de la pensée védique. Grâce aux traductions du XVIIIe S, ce texte influence aussi la pensée occidentale moderne.                                                                                                                                           Le contexte : La famille des Pandava et leurs cousins les Kaurava sont en conflit pour le pouvoir. Sur le champ de bataille, Arjuna, l’un des Pandava, doit donner l’ordre du début du combat mais il est pris de doute voyant dans le camp adverse ses oncles, ses cousins, ses amis. Il se tourne vers Krisna son cocher qui est aussi le 8e avatar de Vishnou et lui expose son dilemme. S’en suit un dialogue sur le sens de l’action juste qui pointe surtout le but fondamental, à savoir réaliser le Brahman afin de sortir du cycle des renaissances.

Bibliographie

Bernard Bouanchaud, Les Samkhya Karika d’Isvarakrsna, éd. Agamat 2002.

Anne-Marie Esnoul et Olivier Lacombe, La Bhagavad Gita, éd. Fayard Point Sagesse 1980.