Je vous ai proposé de partager un « bon moment » de ce confinement. Dans une certaine mesure, cela fait suite aux échanges que nous avions eu en début d’année sur la bienveillance. Il me semble essentiel que dans la période si particulière que nous traversons, nous puissions nous nourrir de ce qui est vivant en nous, nourrir ce qui renforce la confiance et préserve l’harmonie. En tant qu’êtres humains nous avons tous des besoins fondamentaux. Lorsqu’ils sont comblés, notre paix intérieure est renforcée.
Grâce à la pyramide de Maslow qui s’inscrit dans le courant de la psychologie humaniste, la notion de besoin est désormais bien connue. Je voudrais cependant vous proposer une autre approche de la notion de besoin : celle issue de la Communication Non-Violente, et ce pour différentes raisons que vous allez comprendre.
Historique
Marshall B. Rosenberg (1934-2015) est le fondateur de la Communication Non Violente (CNV). Il a souhaité garder cette dénomination qui dit ce qu’elle n’est pas, plutôt que ce qu’elle est. Il souhaitait en effet, dans le sillage du Mahatma Gandhi, s’inscrire dans l’histoire de la non-violence. Vous voyez le lien avec le yoga ? L’intention de la Communication Non Violente est de créer une qualité de relation et d’empathie avec soi et avec les autres. Cela permet de satisfaire les besoins fondamentaux de chacun, de manière harmonieuse et pacifique, de façon à communiquer avec davantage d’authenticité, donc de contribuer à la paix en soi et autour de soi.
Tous les êtres humains ont les mêmes besoins : les conflits portent sur les stratégies ou la façon de les combler. Malheureusement, tout conflit est l’expression tragique d’un besoin insatisfait.
Mais qu’est ce qu’un besoin ?
C’est l’énergie vitale qui oriente un être vers la vie. Marshall B. Rosenberg les considère comme des cadeaux « beaux et précieux » de la vie. C’est pourquoi, partager de « bons moments » entre nous tous, est une façon de parler de ce qui est vivant en nous. C’est une façon de reconnaître ce qui nous rend la vie plus belle.
Les besoins sont l’expression d’un élan de vie qui veut se déployer en chacun, que l’on peut classer en trois groupes : « Prendre soin de ses ressources intérieures ou besoins vitaux », « prendre soin de sa mission personnelle », et « prendre soin de la relation à son environnement ».
Synthèse des « bons moments »
Venons-en à la restitution de nos « bons moments » de ce confinement.
Une très grande majorité a décrit un renforcement du lien avec la nature. Le fait d’aller marcher, d’apprécier la pureté de l’air, le silence qui révèle le chant des oiseaux, le réveil de la nature, les arbres qui fleurissent, admiration d’un tronc d’arbre, d’une fleur qui éclot. Vous avez jardiné, débuté un potager, désherbé.
En deuxième place, vous avez renoué avec l’écriture, soit une description des événements extérieurs, une manière de s’inscrire dans l’histoire, soit la tenue d’un journal intime. Vous avez également peint ou modelé la terre, activité que vous pratiquez habituellement, le temps était là pour produire plus d’œuvres.
Vient en troisième position, la pratique du yoga et/ou de la méditation. Vous avez apprécié d’en faire plus qu’une fois par semaine, apprécié les liens qui se sont créés par les vidéo-conférences. La découverte d’autres approches, et parfois de tout abandonner pour simplement marcher en conscience dans la nature.
Vous avez découvert ou redécouvert une intimité nouvelle avec vos proches. Le désir de garder le contact malgré la distance s’est étanché à travers les outils de communication en ligne ou non. Les lectures aux petits-enfants derrière l’écran, les vidéos tournées pour faire découvrir les œufs de Pâques, les jeux à distance.
Ensuite, viennent des moments de lecture, découverte d’auteurs, relecture, jusqu’à s’endormir sur un livre dans un transat sans culpabiliser.
Enfin, vous avez été nombreux à me dire que vous applaudissiez à 20h, rencontre à distance avec les voisins, un geste de gratitude collectif. Ce n’est pas, à proprement parler un bon moment, mais important à vos yeux pour être noté.
Association « besoins-bons moments »
Les trois grands domaines de besoins que j’ai cités plus haut se déclinent tous en trois sous-groupes. Je reprends ici cette liste des besoins en les développant et en associant en exemple les éléments que vous avez décrits.
Commençons par « prendre soin de ses ressources intérieures ou besoins vitaux ».
- La survie : notre besoin de respirer (qualité de l’air), de s’alimenter, de boire, de se reposer (s’endormir sans culpabiliser), d’exercices physiques (yoga, marche), d’avoir un abri (un jardin).
- La sécurité : notre besoin de confiance, de soutien, de réconfort, de protection, de préserver notre énergie etc. Le climat général était plutôt à l’insécurité, pourtant lire des histoires aux petits-enfants est une façon d’apporter du soutien. En se posant sur son tapis de yoga, en appelant son voisin âgé, c’est bien le besoin de sécurité qui est nourri.
- Un besoin de récréation, de défoulement, de jeu, de rire, de ressourcement. Chercher la bonne casserole pour applaudir à 20h, jeu à distance avec les siens. Accomplissement artistique.
Le deuxième domaine « prendre soin de sa mission personnelle » s’articule ainsi :
- Besoin de liberté, d’autonomie, d’indépendance, de spontanéité, le besoin d’exercer son libre arbitre sont illustrés par l’autonomie dans la pratique ou le fait d’aller marcher, malgré la limitation imposée par l’autorisation de sortie.
- Besoin d’identité, d’appartenance, de partage, de communion (skype), de cohérence, d’être en accord avec ses valeurs, confiance en soi, respect de soi. Ex : Pour satisfaire ce besoin, s’isoler le temps d’une pratique artistique, de yoga, de méditation : dans un confinement en famille, cela a son importance.
- Besoin d’accomplissement de soi, actualiser ses potentiels, besoin de beauté, de création, apprentissage, de spiritualité, choix de projet de vie. Ex : peinture, écriture, modelage, jeu, lecture, jardinage.
Le dernier domaine est de « prendre soin de la relation à son environnement .,
- Besoin de relation, de compagnie, de contact, d’intimité, de délicatesse, de respect. Ex : téléphoner, moyens audio-visuels.
- Besoin de participation, contribuer au bien-être de quelqu’un, coopération, co-création, concertation, interdépendance Ex : téléphoner pour avoir des nouvelles.
- Besoin de célébration, d’appréciation, de contribuer à la vie, prendre la mesure de la perte, du deuil, reconnaissance, gratitude. Ex : applaudir à 20h.
Bien sûr, j’ai mis l’accent sur les besoins satisfaits c’est-à-dire ce qui nous remplit. En lisant vous pouvez aussi prendre conscience de tous les besoins insatisfaits qui étaient présents également.
La CNV propose de déplacer notre attention pour nous connecter à nos besoins c’est-à-dire dans le lieu où nous pouvons nous rencontrer avec nous-même. Les besoins sont universels, indépendants de tout contexte, c’est-à-dire ni attaché à une personne, un objet, une action ou une situation particulière. Il y a un nombre infini de manières de les satisfaire. C’est la sensation physique, détente ou crispation qui nous donne l’indication si le besoin est satisfait ou non.
La CNV ne se résume pas aux besoins : il y a d’autres aspects importants qui nous permettent d’augmenter nos chances de vivre des relations satisfaisantes. C’est un apprentissage, mais ce n’est pas le propos de ce texte. Je vous invite à aller consulter la bibliographie, si vous souhaitez en savoir plus.
En guise de conclusion je livre à votre réflexion une phrase de Gandhi (1869-1948).
« Il y a assez de tout dans le monde pour satisfaire aux besoins de l’homme, mais pas assez pour assouvir son avidité. »
Namasté,
Annie.
Bibliographie
Marshall B. Rosenberg, Les mots sont des fenêtres (ou bien des murs), éd. La Découverte 1999.
Françoise Keller, Pratiquer la communication Non Violente, éd. InterEditions 2011.
Françoise Keller, Découvrir la Communication Non Violente, éd.InterEdition 2017.
Thomas d’Ansembourg, Cessez d’être gentil soyez vrai !, éd. De L’Homme.
Vidéos sur Youtube d’Isabelle Padovani.